Nahanni

Naha what? Le besoin de sortir un peu du cercle. Respiration déphasée, oubli de l’abandon quotidien. T’envoler d’où tu es pour te rappeler d’où tu viens pour te renouveller le goût de la source de ta chair de ta substance. Choisir le voyage. Parce que les nouveaux paysages ont la capacité de remettre les sens à zéro, de déstabiliser la paroi de verre qui avec l’âge se glisse tranquillement autour de tes opinions, de tes convictions. Partir, le voyage pour éviter la pétrification, toujours imminente. L’éviter à tout prix garder l’argile meuble, le tableau en travail. Alors, décider sans trop prendre le temps de le faire, choisir sans peser sans calculer choisir rapidement ne pas te laisser convaincre qu’il vaut peut-être mieux rester ici. Le milieu de nulle part ton premier appel. Fasciné par le détachement l’éloignement. Le Grand Nord. T’isoler des gens. Non, ce ne sont pas les individus qui t’étouffent. S’isoler de la masse des gens. Pour mieux t’entourer te noyer dans le monde. Le vrai monde pas celui qui te klaxonne qui te vends des cartes de crédit à rabais t’asphaltes te télévision t’instagrames t’indiffères t’oublies au coeur de ton autoportrait commercialisé. Non. Le vrai. Le monde. La chair géologique. Celle qui a un souffle éternellement plus profond que le tien. Celle qui le vent glissant sur l’eau qui l’odeur de la terre humide qui le rocher surplombant la plaine qui l’herbe sèche qui les pierres polies la boue la terre sous tes pieds. Celle qui partout où tu regardes il y a de la vie. Alors tu veux, je veux, y aller. Le Grand Nord. Le pas trop foulé juste un peu pas tous en même temps pas de cortège pas file. Pas de ce long serpent de t-shirts de sandales de poussettes et de « m’as-tu-vu je suis en vacances là où l’on m’a dit d’aller » parce que c’est le meilleur choix, la décision la plus juste, la consommation la plus optimale. Marre d’optimiser, tu veux le calme le néant le tu es complètement perdu ici au milieu de rien et de tout à la fois. Debout au confluent d’un nirvana sauvage et du murmure éternel de tes ancêtres néolithiques la plénitude jusque dans tes tripes plus besoin de rien d’autre tu veux seulement regarder le soleil plonger, raser l’horizon et remonter dans le ciel tel un galet qui prends vingt-quatre heures à bondir sur les flots.

Des paysages à faire des rêves de stampedes de bulldozers sur les métropoles.

Le bruissement continu et monastique d’un monde qui se contente d’être. Pas d’un monde qui angoisse.

Te laver à poil dans un ruisseau glacial plus transparent que le cristal et sentir le sang couler, battre à tout rompre, dans tes veines. La douleur revigorante de l’eau froide qui plonge ses crocs dans ta peau.

Une journée sur le raft à ne penser qu’à ce que tes yeux veulent bien voir. Une journée à flots à se gaver la tête de canyons de formations géologiques, d’une forêt vierge d’un ciel bleu pur, bleu-pas-de-smog d’un horizon qui s’étend plus loin que le regard, du bruit dominant et si instinctif du mouvement continu d’une rivière qui à jamais coule son cours puis un ours là, peinard, bouffe ses baies dans une tranquillité qui lui est absurdement quotidienne et qui t’es pratiquement inconnue. Humilité 101.

 

 

J’en raconterai plus, mais ça se raconte comment? Un univers entier qui me glisse en dedans par tous les pores qui s’immisce jusqu’au coeur hélicoïdal de chaque cellule et qui les fait résonner en harmonie totale. Le soupir calme de l’absence de la peur. Je peux regarder jusqu’au plus profond de l’univers moi rien le néant pas de raison pas de créateur pas de mission pas de peur. Pas de peur. Je doute de tout et ça ne me fait pas peur c’est ça oui. Le contact le lien avec l’extérieur l’hors-de-soi ici en plein coeur de l’absence de l’Homme je vois le fil le câble gigantesque et invisible qui m’y rattache. L’absence de la peur de ma propre existence. Ici je suis et c’est tout. Rien n’est dû rien n’est nécessaire meilleur justifiable digne de mention recommandé pratique sous-entendu non non non. Ici je suis et c’est tout. Et c’est pour ça que parfois je fonce hors de l’enclos en béton qui bâillonne ma simplicité. C’était un peu ça, Nahanni.

Étape nécessaire

Assis au bar à boire une bière ba be bi bo bu. Rien qui sort sauf la maudite envie de pouvoir faire comme avant. Me faire chier à m’ennuyer d’un passé que j’ai choisi de fuir et la difficulté d’accepter que j’ai fait le choix de m’arrêter, de devenir autre chose.

 

Assez d’illusions, d’artifices que je me dis. Plus besoin de me préoccuper de la forme je suis peut-être dans une phase où c’est le fond qui me chicote. Mais c’est à se demander, quel fond? J’ai quelque chose à dire, moi? Quoi? Quoi qui en vaut la peine? Qui mérite d’être lu? Prétentieux, self-centered de m’imaginer qu’on va me lire. C’est déjà tendre vers l’égocentrisme, j’imagine. Je vais devoir revenir là-dessus l’égocentrisme. Faut pas se demander si je vais être lu, perspective contraignante. Alors pourquoi j’écris? J’ai quelque chose à dire qui mérite d’être écrit? Encore là, ce n’est pas un peu selfish? « Moi, mes pensées méritent d’être couchées sur papier, offertes à l’éternel, pour le bien de l’Humanité avec une grande hache. » Alors j’écris pour moi, par moi? Non, encore pire. Si je persévère dans cette voie, je vais tomber dans le métaégocentrisme. Allez savoir à quoi ça pourrait ressembler, ça. Bon, alors écrire pour l’acte d’écrire? Ça sonne semi-harmless. Une prose autotélique, comme l’aimerait Théophile Gautier. L’art pour l’art. Pour cracher sur le papier tout ce qui peut bien se dérouler dans ma cervelle hyperactive. Au fait, je pourrais dire que j’utilise une méthode alternative pour cartographier le profil de mon activité neuronique en temps réel. Charles Tisseyre n’a rien sur moi. Voilà, je tombe encore dans la comparaison, le conflit, l’embryon de la compétition. Et en plus, je suis encore un peu incertain. Écrire comme canalisation directe de mes pensées? Alors je pense à quoi? À rien. Au fait que je ne manipule plus la plume avec la même fougue qu’avant. Que j’ai trente ans. Que mes textes, je les retiens je les contrôle, au bout de leur laisse, écumants. Je ne fonce plus comme avant, tête baissée. J’arrête je réfléchis je doute questionne change d’idée change de perspective biffe relis restructure ravale. Est-ce que je suis plus mature, plus sage? Plus peureux? Moins inspiré? Désillusionné? Changé, j’imagine, tout simplement. Est-ce que j’ai encore véritablement envie d’écrire, ou bien c’est le souvenir positif de la personne que j’étais, de la prose que je produisais il y a quelques années qui m’invitent à écrire encore dans l’espoir, plutôt vain, de reprendre contact, redevenir cette personne, ce moi passé? Le temps m’a changé et je ne peux pas être qui j’étais puisque je suis déjà ailleurs, quelqu’un d’autre qui ne ferait qu’imiter qui j’étais à défaut d’essayer d’être qui je suis. Je suis bel et bien la somme de mes expériences et les soustractions sont impossibles. How childishly pretentious and philosphical. Toute cette réflexion pour me rendre compte que je suis une suite de clichés, organisés dans un ordre propre à moi. Bof.

C’est arrivé en chauffant sur la quarante

Fou sauté explosif dérangé changé changeant me vois-tu arriver là derrière? L’homme qui gronde qui casse qui éclate détonne engueule d’exister. Je me cherche dans le grenier de ma mémoire je grimpe l’escalier quatre à quatre faut voir revoir réexister ce qui se tramait là-haut. Ma vie foutoir ma vie débarras je soupire devant le bordel de mes autoportraits je me dis triage je me dis accablante corvée la chronologie grotesque qui me contemple espiègle il me dit de sa voix toujours mielleuse acide t’es pas game, viens fouiller voir si ça t’amuse. 10, 20, 300 cartons des toiles d’un bout à l’autre toujours à refaire, toujours différent les couleurs qui changent qui s’obstinent, ne resteront pas en place mouvement mouvement jamais statique ça gronde, ça glisse, coule, fond, bouillonne de tons en tons sans arrêt je m’hallucine mon espace-temps sans me fixer mutant girouette et je me mens comme ça à tout vouloir essayer pour remettre l’ordre qui n’a jamais été sans vraiment rien changer. Remarques, elles sont toujours un peu pareilles c’est le décor qui change, mais ma sale gueule, fatidique, sur chaque tableau. Artiste incompris, comme tous les autres. On reconnait les rythmes les techniques tout le monde manie le pinceau avec la même main les mêmes poignets, mais à sa façon.
Ça s’entame avec des jobs d’étudiants. Dans le service. Dans le commerce je te vends des clous et de la peinture, bâtard. Une job de je paye mon cégep et mon université (mon loyer et mes cannes de thon). C’est simple. Puis ça change de filtre, nouvelles couleurs, on passe des clous aux fromages, puis des statistiques monochromes dans le style clown triste qui donne des cauchemars jusqu’à l’âge adulte. Avant ou après je ne le sais plus c’est flou je n’ai pas marqué les dates derrière chaque oeuvre. Puis les couleurs continuent de ternir, des contrats de travail, j’en ai vendu aussi, ils appelaient ça « recruteur »… Et ainsi de suite 10, 20, 300 tableaux toujours la même face… Faut ben repasser au travers de temps en temps…

Ça continue les jobs d’étudiants entre deux sessions en sabbatique parce que je vais peut-être changer de programme c’est pas vraiment pour moi la littérature je ne sais pas j’y pense ça sent le self-sufficient, l’exhibition un peu c’est une relation amour-haine ou quelque autre lieu commun. Je continue comme ça, sans savoir où m’aligner la démarche les pieds n’arrêtent pas je n’ai pas le temps de faire un choix éclairé on dirait, mais bâtard c’est comme ça que ça passe pour tout le monde? T’improvises ton petit bonhomme de chemin au fur et à mesure faute de pouvoir prendre du vrai recul. J’oscille la ligne droite du tracé social beau chemin asphalté c’est-y pas magnifique on dirait toute l’efficacité de la 40 sur la distance de nos vies et ça s’endort au volant pendant que ta googlemobile te conduit jusqu’à la cathédrale à étages en ciment et te stationne en ordre de grosseur et de couleur et de tout ce qui est quantifiable une sirène qui hurle son glas ça te réveille juste à temps pour que tu signes tes préarrangements. Non merci pas pour moi un peu trop insipide justement et mon regard de déjà endormi dans le rétroviseur fuck mes yeux ne veulent pas rester calés au fond de leur chaise faut regarder ailleurs la gauche je me garroche dans le chemin de travers qui n’est pas vraiment là plus comme un embryon de sentier tant pis c’est juste pour voir juste pour savoir le paysage encore des jobs d’étudiants en tout cas c’est ce que les pancartes officielles crachent en lettres moulées blanches comme la sainte vierge maudit terme qui pique qui agace ça me gruge l’écorce on dirait.

À fond la caisse, le champignon effoiré y’a un brouillard de vesse de loup dans l’habitacle je file sur le chemin de terre battue je magasine les possibles je cherche qu’est-ce qui peut m’intéresser déclic un fusible qui reconnecte inactif depuis le cégep la bécane qui se fait oublier travailler là-dedans me salir un peu les mains pourquoi pas jamais essayé. Puis c’est le déluge de l’évidence j’abandonne de douter mon lieu me voilà en place. Révélation? Pas tant. Plutôt choisi d’arrêter la voiture ici j’ai pris une décision je le crie à noyer l’univers le mien en tout cas mon pied-à-terre finalement la première définitive jusqu’à preuve du contraire et vlan tiens faut faire son chemin j’avance, l’homme qui gronde, pas à pas dans le tunnel de verre de ma certitude.

Je sors du grenier le bordel aussi complet qu’avant les couleurs qui continuent de valser dans tous les sens et moi qui m’en contrefiche tant qu’il y a quelque chose là-haut, ça peut bien faire ce que ça veut, ça me suffit de tenir le volant.

Pops

Je veux peut-être écrire à propos de lui derrière ses lunettes sa couronne et son sourire de moustachu. Lui qui silence, lui qui maladresse d’aimer sans vraiment savoir comment. Lui qui blagueur kitsch, mais on s’en balance. Lui qui trouble obsessif compulsif rénovation. Lui si peu de souvenirs clairs dans ma tête si perdu si loin je plisse les paupières la main en parasol il faut faire un effort véritable pour distinguer dans le brouillard. Le voilà au loin toujours un peu flou, mais vrai, en chair, là, présent, à sa distance. Puis de lui ça se met à gronder, la vague, le tremblement, un bruit sourd, lourd et long puis ils déferlent explosent de lui en un grand ensemble expansion universelle exponentielle je jette les yeux comme je peu j’en attrape tant que je peux au passage.

Un trou béant dans la cour, son idée, son projet pour nous qu’il dit. Pour s’évader de ses incertitudes que je me dis aujourd’hui en regardant de loin. Il allume le barbecue me donne un bain me conduit au travail fait une lasagne écoute ciné-cadeau avec la famille patine sur le canal par travailler change l’huile sur la fourgonnette joue au mini-putt joue au golf (upgrade). Trop direct pourtant les souvenirs chargés de non-sens, pas de classement pas d’ordre alors qu’il pousse sa souffleuse dévore le banc de neige pour libérer les voitures pour une place au filet de hockey simplement parce qu’il le faut, on fait ça quand il neige. C’est la convention, ou la coutume, la norme oui. C’est normal. Lui, donc, qui pousse le petit moteur deux-temps et la poudrerie qui se fait cracher, du joli avec le vent de tempête ça lui reviens au visage comme une bande dessinée un peu. La souffleuse souffle, le vent vente et lui, il s’enneige. J’ai cette même image imprimée dans ce petit recoin tout au fond de mon cortex là où je garde mes vieilles diapos. Vous savez, le gros cartable écrit « tranches de vie » dessus? Et bien il y a cette image de lui : manteau noir cache-nez noir, tuque noire, sourcils noirs, lunettes… transparentes, mais tout ça, tout blanc, tellement blanc. Un blanc pur, un blanc inondé par la neige qu’il tente d’expatrier de notre entrée de cour.

Je sors une autre diapo : lui qui conduit la nuit en silence nous assis derrière presque endormi on revient de je ne sais où et l’on s’en va à la maison comme c’est arrivé si souvent et la radio qui susurre un Rock détente prévisible de Boulet, Séguin, Boulay, Pelchat, Renaud, Dufault, America, Lavoie et autres. Tout ce que je peux voir c’est le reflet dans le pare-brise de son visage passif, calme, ses lunettes, son crâne un peu pas mal dénudé. Il conduit, tout va bien.

Lui au bar. Heureux. Souriant. Si rare, si riche et moi avec lui. Partager un moment nouveau avec lui que je connais tant et pas du tout à la fois. J’ai toujours été aveuglé de sa personne par son mutisme naturel, mais là il parle, il écoute, il parle encore. Je l’écoute, je souris, c’est assez pour me tenir au chaud longtemps de lui voir les grands projecteurs allumés, le livre plus ouvert que jamais, il se laisse couler sur sa propre vague. Je souris.

Lui qui refuse, pas cette fois, je vais devoir essayer autre chose avant les Lettres. Lui qui avait peur bien sûr, mais dans le fond il voulait juste me laisser vivre, faire mes choix il respectait cela. Il nous faisait confiance parce qu’il nous connaissait mieux qu’il ne le croyait.

Lui qui essaie de peine et de misère à faire ses étirements parce qu’il le faut bien, mais, un dos une fois abîmé, ça ne revient jamais comme avant. Alors il se couche sur le sol, et s’affaire à ses exercices la chienne, notre adorée, la sixième part de la famille qui lui tourne autour, lui grimpe dessus elle veut se prêter au jeu lui qui se choque et la pousse un peu, mais pas vraiment. Elle, futée, comprends bien et le laisse en paix, qu’il s’étire tranquille et je me promène comme ça entre les images de nos vies séparées et communes et les diapos s’entassent, mais en même temps il n’y en a pas assez on dirait. Lui costumé en Averell comme ça on est les quatre Daltons… il prépare la piscine au printemps et tente d’expliquer à l’enfant que je suis les étapes d’un test du pH de l’eau… moi qui pleure moi qui pleure…

Lui qui se met à marcher plus lentement sa jambe qui l’agace, relié à ses problèmes de dos qu’on dit. Il boite un peu, mais pas vraiment, on s’en fiche, ça va passer la vie continue.

Puis le temps, puis une canne. C’est arrivé quand ça la canne? Les rayons x rien, un physiothérapeute et d’autres étirements, bon fallait s’y attendre.
Puis le temps, puis des étirements, puis ça ne change pas. Il faut se poser des questions. IRM. Au privé parce que sinon la liste s’étire jusqu’au village du père Noël…

Puis Montréal. Moi j’y suis déjà. Arrivé avant à me trafiquer une vie d’étudiant « en sabbatique ». Lui il emménage, nouveau lit, nouvelle chambre, nouvelle jaquette, nouveau soluté. Chambre semi-privée, le voisin est bien. On attend les résultats de biopsie.

Encore l’IRM et de la bouffe dégueulasse il parle moins, son regard s’alourdit son souffle aussi on dirait. Il est faible, fatigué. Le médecin et son assistant qui entrent. Lui, moi, faces à eux. Le médecin raconte une histoire triste. Une histoire de sarcome, une histoire de chimio, une histoire de six mois au mieux.

Moi qui pleure, moi qui pleure.

Et lui qui pleure et moi dans ses bras et lui qui chuchote comme en secret « Vous allez être corrects, vous allez être corrects. Ça va bien aller. » Il me regarde dans les yeux et je le regarde dans les yeux et on se comprend d’un bout à l’autre. Je sais qui tu es. Je sais qui tu es.

La famille qui vient, il est entouré, tout le monde vient le voir et c’est mélancolique, mais au moins il fait chaud, chaud de chaleur humaine. Mes frères sont là et on se dit tout en se regardant dans les yeux.

Le médecin s’est planté, ça pas été six mois, ça été quelques semaines. La nuit du treize au quatorze février. Veux-tu être mon valentin? Mes frères et moi qui pleurons. Le soleil se lève à peine sa poitrine elle reste couchée ça me brise en deux ça les brise en deux, nous regardons en silence nous pleurons en paix. Salut, mon vieux.

Puis les funérailles.

Nous avons laissé ses cendres là où il fallait. Il n’a pas eu le temps de dire où, mais on a deviné pour lui.

Les diapos me tombent des mains, ça s’éparpille un peu fallait s’y attendre à aller voir ces histoires-là on perd toujours ses moyens. Je ramasse tout ça je les range dans le cartable « Tranches de vie ». J’en garde une avec moi.
Son vieux gant de baseball plus souple que souple un cuir si vrai si ancien, lourd d’années. Il nous lance la balle, nous la renvoyons. Nous jouons avec lui il joue avec nous. Son lancer précis, fort. Ça me fait mal dans la paume chaque fois que la balle claque dans mon gant. Un jour, je vais lancer aussi fort que lui que je me dis en le regardant de haut, en le regardant de loin, sourire en tête.

La traversée du désert: soit la fois où j’ai raté mon soufflé

L’épopée d’un homme avec un petit h. Un homme, vous le connaissez, c’est celui que vous croisez dans la rue tous les jours. Oui, lui. Et lui aussi, puis celui-là.

Il marche, peinard ou pas, concentré sur sa démarche, yeux rivés sur ses jambes ou son chemin devant lui. Il va au boulot, il toise son téléphone, il fume sa clope, promène son chien pour la forme, ou plutôt car il le faut bien, il ne sortira pas seul ce cabot, il va au dépanneur acheter un jus d’orange ou du lait ou bien encore de la bière car il n’est jamais trop tôt bref il fait bien ce que vous voulez, mais il le fait parce que la vie est ainsi faite que les gens vont et font leur matinée au gré des trottoirs et des ruelles les yeux rivés sur leur démarche. L’homme donc fait ce qu’il a à faire et ne vous regarde pas, vous, l’autre usager du pavé matinal. Il ne vous regarde pas ou, presque pas enfin, très brièvement et d’un regard fuyant qui ne cherche pas à savoir qui vous êtes; qui se fiche de la couleur de vos cheveux, du bruit de vos chaussures sur le trottoir, de la coupe de votre manteau, de votre prénom, couleur favorite, les pays où vous avez/voulez voyagé vous. Un regard qui ne cherche même pas à savoir si vous êtes jolie( ) non, un regard utilitaire, c’est tout. Lorsque l’on marche sur les trottoirs on regarde les autres pour bien voir où ils mettent les pieds, question de savoir où mettre les siens. Personne ne veut entamer sa journée en se prenant un étranger sur la gueule, c’est bien connu. Alors on regarde, pour savoir où aller. Et ça s’arrête là. Alors cet homme sans nom, plus vague que vague, plus ordinaire que les statistiques ne le permettent, marche sa marche mécanique vers son objectif, advenant ici, son domicile. Il entre chez lui et d’un grand mouvement fluide, la danse des habitudes : range son manteau balance ses clefs dans le bol stratégiquement positionné laisse ses chaussures sur la moquette referme la porte derrière lui allume le luminaire de la cuisine (didn’t even break a sweat). Tout cela avec une nonchalance naturelle, à faire croire qu’il connaît ces lieux comme le fond de sa poche. Puis il dépose ses paquets oui, ces mêmes paquets que vous n’aviez pas remarqués lorsque vous l’avez croisé dans la rue, trop préoccupé que vous fussiez à regarder où il mettait ses pieds.

Il dépose donc ses paquets remplis de toutes les bizarreries qui auparavant ne faisaient que garnir ce petit bout d’enveloppe chiffonnée au fond de sa poche qui lui faisait office de liste d’épicerie. Il vide les sacs en disposant tous les items sur le comptoir puis il se positionne, prends un recul. Tour d’horizon des ingrédients. Il se précipite vers le garde-robe de l’entrée et dérobe le bout d’enveloppe qui traînait encore dans le fond de la poche de son manteau. Il inspecte ligne par ligne, en comparant avec le comptoir, histoire de s’assurer qu’il n’a rien oublié. Une fois satisfait, il prend encore un recul. Puis le soupir, presque une plainte, mais à voix haute, dans le milieu de la cuisine, question que tout le monde l’entende surtout lui, surtout sa solitude.

Dans quoi je me suis embarqué?

Fin de la plainte. De toute évidence, nous avons affaire à un homme de peu de mots. À propos, ça doit bouillonner dans son crâne du moins, permettons-nous de l’imaginer.

… et il cuisine, le pauvre, il touille comme jamais, anticipant déjà le tennis elbow Nadalesque qu’il va se farcir à force de faire tourner en rond cette damnée cuillère de bois dans ce ciment comestible qu’on pourrait qualifier de mélange à gâteau. La sueur perle et se perd en coulant sur son front plissé. Mondaine peut-être la tâche, mais il se croirait au goulag à sacrifier son après-midi de congé sur l’autel de la corvée de popote. Un homme quoi, qui comme tant d’autres se fait à manger par ennui ou pour s’occuper l’esprit. Oui c’est cela, s’occuper la tête à penser à quelque chose, n’importe quoi, autre chose que ce silence trop connu, celui qui se peuple de toutes ces voix à l’intérieur. La voix qui lui répète qu’il est toujours assis sur son cul, la voix qui voudrait sortir, mais ne le fait pas, la voix qui ne croit plus en l’amour, la voix qui le trouve laid, la voix qui le trouve ennuyeux, la voix qui a peur que tout s’arrête à cela, cette vie à regarder où les autres mettent les pieds, la voix qui l’aime encore, mais ça fait si longtemps pourquoi elle chantonne encore elle? Puis la voix qui sait qu’au fond c’est pas si mal, dur moment à passer comme à chaque fois, puis la voix et la voix. En choeur et sans répit, elles profitent du silence de ses pensées pour le prendre d’assaut. Alors, lui qui les connaît trop bien, ces vocalistes insipides, solitude a cappella, il fait du bruit dans sa tête il les tait en se faisant un tennis elbow à touiller un foutu mélange à gâteau.

Mais ce n’est pas un pâtissier. Non c’est un quidam, tout ce qu’il y a de plus quidam. Un soufflé alors, pas facile, pas simple. Et ça commence par une petite frustration. Un mélange qui n’a pas la texture requise peut-être. Puis ça gonfle, en rage. Le soufflé, il n’est pas digne de ce nom. Il est digne d’un enterrement rapide, sans pierre tombale, sans sermon et n’en parlons plus. Et le mec il fume sa clope et boit son vin d’épicerie à grande gorgée, question d’oublier la rage alimentaire.

Tant pis.

Puis il refait à l’envers (enfin, presque) sa routine : luminaire, chaussures, clefs, manteau, porte. Et il se retrouve sur le trottoir, les yeux rivés sur les chaussures des autres jusqu’à destination : une sonnette de porte qu’il connaît bien.

Salut.

Salut, tu n’as pas apporté le soufflé?

Je l’ai loupé le soufflé.

Mais on n’aura pas de dessert, alors.

Je suis désolé.

Allez entre, on s’en fout, tant que tu es là.

Ce soir, vers minuit, il retourna chez lui à regarder le trottoir, repu d’un souper entre amis. Et il enlèvera son manteau, bolera ses clefs, les chaussures sur la moquette, la porte fermée. Lumières éteintes. Et il dormira seul, dans le désert de sa solitude. Les voix qui chantent en choeur.

L’armoire à Tupperwares

Le cul dans le fond de ma chaise le mur devant frigo à gauche les hauts-parleurs à cracher quelque chose que je vais oublier demain, Baricco sur les genoux, mais moi j’attends, j’attends rien. Et je n’y peux rien. J’idle le cognitif, bloqué sur process et puis çe se met en branle. Encore à me remâcher ma vie d’avant comme celle devant et les images qui se fracassent porcelaine sans valeur autre que celle de l’enchère. Je me dis qu’on se valorise nos faits et gestes à la hauteur de nos sentiments et moi qui me regarde là qui choisis à la baisse, sous-estime le fatras de mon petit bonhomme de chemin. Broyer du noir avec plus de conviction qu’un moulin à café tiens ça prends tout le monde de temps en temps que je voudrais bien me consoler, mais semblerait que ce n’est pas si vrai qu’il y en a qui font fi de, qui ne pense jamais à, qui ne reculent jamais pour mieux voir si. Moi je broie je remâche je concasse ça viens comme ça et ça me prends la motherboard je flammèche mélancolique. Je me mets à marcher dans ma tête à regarder toutes les portes à en reconnaître le tiers puis l’illusion que c’est la même banalité d’ici jusqu’au bout. Je me mets à marcher dans ma tête comme la métropole de toutes mes intentions et c’est plein ça déborde, mais je n’y vois rien. J’erre mon ennui je le colore plus sombre plus lourd un épais brouillard de poix brouillard de londonnais que je vois tous les jours c’est comme enraciné dans le quotidien, normalisé attendu il est là permanent ce fog de fou de j’aurais peut-être dû, d’idées abandonnées, d’étapes manquées d’intersections mal choisies de pourquoi j’ai dit quelque chose, de pourquoi je n’ai rien dit. Et les pupilles de s’y faire à cette soupe de pois et je ne ferme les yeux qu’à chaque rayon de Soleil qui se donne la peine de couper au travers ça brûle jusqu’au milieu du front. Trop habitué à regarder par le filtre de la mélasse je me night vision mes pas et cette lumière qui me casse la perception je veux la bouffer toute entière me saouler les pupilles et ça brûle alors je barricade mon regard et ça me brise en deux. À l’usure que je me dis, à l’usure tiens ces rayons je vais m’y habituer et mes yeux ils s’adapteront lentement devenir des soupiraux puis tranquillement ça peut grandir s’adapter jusqu’en porte battante si seulement si seulement. Comme s’il fallait toujours que je me confronte mes sentiments les antagonistes je les vois là devant comme flou et le brouillard trop collant trop dans ma peau il bouche mes pores comme plâtrés il s’immisce m’épaissit le souffle et je la respire la mélasse mes poumons qui s’engluent on dirait des modèles de paquets de cigarettes. Moi qui sais trop bien que je laisse le cyanure couler lentement je n’en veux plus fiche le camp si le vent pouvait se lever merde et je me bats encore pour regarde les rayons allez qu’ils m’aveuglent pour de bon n’en parlons plus si c’est ce qu’il faut. La machine je la vois elle crache sa purée sans répit. Elle les rayons elle s’en fiche bien elle n’entend rien elle continue à cliqueter toujours dans le même sens et elle gerbe sans arrêt gueule grande ouverte gargouille de cauchemar on se croirait dans un Bosch c’est quoi ce carnaval? Toujours la tornade mon bonheur ici autour de ceux qui me rassemblent les éclats et me rapièce la pensée ce monde si calme simple facile presque enfin ici un confort qui me fait tant de bien puis aussi la tache l’image de ce choix définitif c’est vraiment ici que je m’arrête dans ce trou de trois fois rien ou je passe dans la vie des autres en me faisant oublier? Je m’hallucine moins que rien écroulé et je mange les restes de mes efforts abandonnés j’ai vraiment baissé les bras vraiment? Dans ma tête toujours le bordel les morceaux qui ne s’associent pas il n’y a plus rien qui s’imbrique, j’me croirais dans mon armoire à Tupperware. Puis le signal repasse je déboule hors de moi le cul dans le fond de ma chaise le mur devant frigo à gauche les hauts-parleurs à cracher autre chose que je ne me souviens plus d’avoir entendu, Baricco sur les genoux je lui ouvre les entrailles je vais aller voir un peu le bordel dans sa tête.

L’errance d’un papillon

Le vide tout autour, quantique, la distance l’espace tout autour la pesanteur de l’impalpable tout autour, l’assemblage si précis opaque tout autour et pourtant rien, rien, rien. Nous comme trempé dans l’humidité sèche de tout ce néant trop lourd qui nous casse les épaules à se laisser insupporter. Puis on nous dit « les vagues » subtiles, effacées, spectres permanents toujours en mouvement toujours statiques omniprésents. Nous ne les prennons pas dans nos mains les vagues, nous ne les touchons pas, les vagues. Elles passent à travers nous que nous nous mentons parce qu’en fait c’est nous, perméables, qui passons au travers d’elles. Nous qui errons avec tellement de conviction nous avec nos chemins tellement définis. Définis par nous-mêmes, suivis par nous-mêmes. Nous sommes autofonctionnels. Nous nous illusionnons de la certitude du concret parce que le monde il est là sous nos yeux, vous voyez bien: la croûte, la matière, le rugueux, le souple, le sec, l’humide. Là sous nos yeux. Nos yeux d’incapables à y voir plus clair puis tranquillement à force de nous voulons comprendre encore plus parce que nos yeux ce n’est peut-être, sûrement, pas assez pour voir vraiment voir nous nous mettons à spéculer à vouloir voir plus. Distinguer au-delà du nerf optique le plus petit le plus grand toujours plus et tout autour. Puis à nous inventer des lunettes des télé-micro-scopes pour voir, voir encore plus nous avons soif d’images. Nous nous disons qu’à chaque forêt ses arbres, chaque arbre ses racines chaque racines ses fibres et puis ça ne finit plus et il faut aller voir parce qu’arrêter de regarder c’est se fermer les yeux. Nous nous géocentrons et nous nous héliocentrons et nous nous accélérons des particules. Nous découvrons le monde sous le tintamarre subatomique des collisions frontales invisibles. Elles se rentrent dedans et puis quoi! As-tu vu? As-tu vu que depuis 100000 ans, toujours, avant que nous existions toi et moi et la Terre et tout le reste il y avait ça? Cette micro-saloperie, le flou des particules. As-tu vu, le bâtard d’électron aussi insignifiant pour son noyau que tu l’es pour le soleil. Tellement le rien, tellement la distance, tellement la mesure des probabilités tout autour tout ce que nous sommes vides éloignés nos corps les distances infinies entre chacune de nos particules. Tu me sembles si loin soudainement, si loin par toutes les immensités qui s’amoncellent à un univers une de l’autre pour te créer. Nous et nos yeux toujours incapables puis nous voulons comprendre le tout du rien, mais ça ne se fait pas d’une traite nous continuons notre errance toujours plus conscients que nous ne savons rien. Nous regardons dehors avec nos yeux si aveugles, nos yeux qui n’arrivent qu’à voir que le flou tout autour. Notre vie impressionniste et nous la contemplons parce que c’est bien tout ce que nous pouvons faire. Nous le voyons là le papillon qui s’évertue à voler dans aucun sens sans direction. Nous savons que comme nous il ne porte rien derrière, rien devant il ne va pas changer quoi que ce soit et nous nous en foutons un peu dans le fond parce que l’insecte il est là, flou ou pas et il se saccade son existence et puis tiens pourquoi pas puisque dans le fond, c’est un peu ça aussi la beauté de la chose.

Brosse à ongles

Encore la brosse à ongles qui peine à faire disparaître la totalité de la crasse saturant mes doigts qui semble ne jamais vouloir la laisser partir complètement. Couche de fond esthétique, effet secondaire de mon gagne-pain. Tatoué par le travail, tatoué d’huile à chaine, de poussière cosmopolite, de boue agreste, de de toute évidence celui-là range sa bécane dans l’antre de ses 14 chats, de c’est quoi cette saloperie devrais-je en apporter un échantillon à mon médecin et autres matières abjectes et/ou inconnues. La paire de gants, faible protection contre ce ramassis perfide, expie parmi ses semblables dans le monticule de la poubelle, décapitée dix fois plutôt qu’une. Je me sens à l’avant-garde d’un génocide, massacrant impunément ces pauvres nitriliens (bleus d’un bleu pourtant si pacifique) paires par paires, jour par jour, quatre fois par jour. The horror, the horror.

Ces gants qui font chier à glisser sur la main, qui emmerdent royalement la dextérité et qui se suicident à chaque fois que j’essaie de les enlever et qui enquiquinent quand, lors des rares fois où justement ils survivent à se faire déloger de mes doigts, je veux les renfiler et que, moites et collants ad nauseam, ils se moquent de moi. Après réflexion, va pour le génocide, ils l’ont bien cherché. Je me plains, je joue à l’écoeuré, mais dans le fond, ça me fait rayonner de jouer dans la crasse toute la journée. Quand je rentre dans l’atelier je me transforme en gamin de 6 ans qui trouvé la meilleure flaque de boue. Bon, il y a bien des journées où la patience se fait plus courte; on croirait parfois que les gens récupèrent leurs vélos d’occasion dans l’épave du Titanic, l’ampleur de la tâche s’avère dès lors colossale, effroyable. Mais il y a aussi toujours ce client-là ou l’autre me rappelant pourquoi mon travail me passionne en me tournant le dos pédales aux pieds et sourire aux lèvres, satisfaits. Enfin, dussè-je espérer.

Puis il y a les vélos neufs, toujours quelque chose à refaire là-dessus. Des moyeux serrés jusqu’à l’immobilité aux cartouches de pédaliers désertiques en passant par des câbles mal fichus ou quelconque dérailleur désajusté je recommence, je m’active, machinal répétitif constant. Surtout, avant toute cette minutie : le carton. La mousse, le papier bulle. Quand je le sors de la boîte surgit cette marée haute non, ce tsunami d’attaches-câbles de manchons en plastique pour « protéger » tel ou tel trucmuche et de m’acharner à débarrasser tout le fatras déjà vingt minutes à le déshabiller et je n’ai pas encore vu la couleur du cadre et puis quoi? Une interruption sous la forme d’un client :
– Salut je cherche un pneu pour mon vélo.
– D’accord, quelle dimension de pneu?
– Ben, standard là.
Le pauvre. Comme la majorité des gens, il ne sait pas que dans le merveilleux monde de la bicyclette les standards ne sont que des fabulations utopiques. Je ravale mon envie de claque et je laisse le demi-emballé en chantier, le guidon pendillant au bout de sa gaine, lynché par mon travail incomplet. Je vais aider le chercheur de coutchouc et après maintes questions nous lui trouvons la bottine parfaite. Je retourne tranquillement à ma besogne. Au total, j’ aurai bien pris trente minutes à dénuder ce vélo. Puis vingt à l’assembler…

De retour à mes réparations et j’ai besoin de mon tournevis. Pas à sa place celui-là. Il y en a deux, équivalents, juste à côté du trou béant, dramatique qui crie à tue-tête l’absence du mien. Les deux autres jumeaux je m’en balance, je veux le mien. Il a quelque chose de… il est compatible avec ma main… Je me comprends. Angoissé, j’entame les recherches. Je passe tous les établis, murs, plancher, collègues au peigne fin (heureusement les gants bleus on tenu le coup cette fois.) En additionnant les interruptions pour réparer quantité de crevaisons ou quelconque autre empêchement de chercher en rond, j’y passe bien quarante-cinq minutes avant d’accepter une défaite (néanmoins temporaire) et de me résoudre à utiliser un des ces pouilleux de tournevis qui n’est pas le mien. Pouah. Puis c’est le glas, vingt et une heures. Je lance mon duel quotidien à la brosse à ongles qui comme à l’habitude rend les armes en me cédant mes mains seulement à demi décrassées, j’enfile mon casque, j’enfourche mon bolide et je pédale jusqu’à la maison. Hagard, j’arrive devant ma porte et je sors mes clefs… non, mon tournevis, de ma poche. La nuit va être bonne.

Sales vélos de mer… je vous adore.

Encarnages

Fermé encore le regard fuyant mon corps trop peu ce que je peux tolérer. Minéral mon sang pétrifié incapable de faire battre ma chair capitulée. La flamme sèche de la rancoeur conquérante me domine j’effondre ma volonté mon âme mes obsessions à ses pieds. Vercingétorix 2014. Puis soudain je prends conscience de mon organisme je me souviens les sensations ma peau ce doux cuir fragile, malléable, enfantin. Inodore l’air et pourtant je le sens s’infiltrer jusqu’en moi profond incisif. Les larmes déversent sur mes joues le torrent des souvenirs de mes amitiés en gouttelettes cyanures que j’essuie d’un geste de ma main amère. J’entends au loin une chanson d’amour langoureuse douce vraie authentique poignante elle tintamarre dans ma tête le carnage de ma solitude. Pas seul d’eux seul avec moi pas de partage pas de conte de fées trop réaliste le vieil ado cartésien aux réflexes mal rodés. Ne pas se laisser abattre par la perspective néantisante de l’avenir qui s’étouffe devant moi plus loin que l’horizon la peur de continuer à marcher à côté de rien le regard fixé en moi à chercher à savoir pourquoi rien pourquoi l’absence pourquoi il ne se passe rien est-ce que je récolte ce que je sème? Non l’image est trop noir je ne peux pas me permettre de me détester à ce point je mérite mieux que ça. Et pourtant l’ennui. Et pourtant je ne lis plus rien. Et pourtant la bouteille de vin qui semble sans fond dans mon frigo. Et pourtant mes souliers dans l’entrée juste les miens. Et pourtant mes draps toujours fripés du même criss de bord. Et pourtant deux chaises vides autour de la table. Et pourtant non non c’est absurde c’est passager tu va retrouver un sourire, on va t’en offrir un tu vas voir. Je suis plus fort que toutes mes craintes, je vais les enterrer je vais continuer à faire comme si de rien était je vais oublier mes souliers ma bouteille mes draps au creux de mon existence je vais sourire je vais célébrer je vais faire comme il faut c’est fantastique un vrai miracle la vie vient à ceux qui ne l’attendent pas qu’on me dit. La vie vient peu importe la vie recommence arrête recule la vie quantique, mais faut faire tout comme. Et pourtant on dirait que ça fait 100 ans que je n’ai pas aimé et demain ça n’aura l’air de rien mon coeur desséché infusé à fond mes poumons pleins de tes lèvres sur les miennes où que tu sois ça va se gueuler sur tout les toits. Mais aujourd’hui ça rage en silence ça morphine mes idées. Pff.

Garde pas ça en-dedans

Construire son nid :

 

Faut meubler, ranger et préorganiser. Faut savoir qui on est, qui on va être. Faut savoir les tendances, les couleurs les choix éclairés. Alimenter le garde-robe, agrémenter le frigidaire. Habiter, c’est s’affirmer. Habiter c’est consommer payer acheter repeinturer rénover agrandir déménager toujours améliorer. Habiter c’est ma maison, mon lit, ma bibliothèque, mes livres vides, ma commode, ma correlle, machine à laver. Habiter, on fait ça spic’n’span. Habiter ma voiture, mon entrée de garage, mon garage (pas pour la voiture, il n’y a plus personne qui fait ça) ma tondeuse, mes bâtons de golf, mon vélo mes souliers de course, de soirée, de randonnée, de pluie, de tennis, de claquette. Habiter c’est revernir des chaises et une table du bazar trop in au coin de telle avenue pis tel boulevard, tsé la place à côté du métro on s’en sacre? Habiter c’est mon grille-pain, mon four, ma télé, mon foyer, mes fluocompactes, mon rideau de douche en pur poil de plastique. Habiter c’est manger des toasts avec du pain 25 000 grains anciens rustiques inviolés par l’homme noyés dans le beurre d’arachide bioéthique durable pas raciste. Habiter c’est cohabiter avec ma ville, mon village, mon quartier. Habiter c’est composter. Habiter c’est pas de colporteur, pas de circulaire. Habiter c’est Netflix YoutubeGoogleItunesFacebook plus accessoires choisis. Habiter c’est la lampe gastro du Village des Valeurs. Habiter la passe de stationnement du bureau, les voisins pas bruyants, le barbecue sur le balcon, 60 litres de sauce à spaghetti dans le congélateur à côté des bananes qui sentent bizarre même en dessous de 0. Habiter un matelas et les oreillers mousse mémoire pour corriger ma posture. Habiter. Mon cul, oui. Manger. Boire. Dormir. Aimer. Le reste, c’est des singeries de portefeuille.