Nahanni

Naha what? Le besoin de sortir un peu du cercle. Respiration déphasée, oubli de l’abandon quotidien. T’envoler d’où tu es pour te rappeler d’où tu viens pour te renouveller le goût de la source de ta chair de ta substance. Choisir le voyage. Parce que les nouveaux paysages ont la capacité de remettre les sens à zéro, de déstabiliser la paroi de verre qui avec l’âge se glisse tranquillement autour de tes opinions, de tes convictions. Partir, le voyage pour éviter la pétrification, toujours imminente. L’éviter à tout prix garder l’argile meuble, le tableau en travail. Alors, décider sans trop prendre le temps de le faire, choisir sans peser sans calculer choisir rapidement ne pas te laisser convaincre qu’il vaut peut-être mieux rester ici. Le milieu de nulle part ton premier appel. Fasciné par le détachement l’éloignement. Le Grand Nord. T’isoler des gens. Non, ce ne sont pas les individus qui t’étouffent. S’isoler de la masse des gens. Pour mieux t’entourer te noyer dans le monde. Le vrai monde pas celui qui te klaxonne qui te vends des cartes de crédit à rabais t’asphaltes te télévision t’instagrames t’indiffères t’oublies au coeur de ton autoportrait commercialisé. Non. Le vrai. Le monde. La chair géologique. Celle qui a un souffle éternellement plus profond que le tien. Celle qui le vent glissant sur l’eau qui l’odeur de la terre humide qui le rocher surplombant la plaine qui l’herbe sèche qui les pierres polies la boue la terre sous tes pieds. Celle qui partout où tu regardes il y a de la vie. Alors tu veux, je veux, y aller. Le Grand Nord. Le pas trop foulé juste un peu pas tous en même temps pas de cortège pas file. Pas de ce long serpent de t-shirts de sandales de poussettes et de « m’as-tu-vu je suis en vacances là où l’on m’a dit d’aller » parce que c’est le meilleur choix, la décision la plus juste, la consommation la plus optimale. Marre d’optimiser, tu veux le calme le néant le tu es complètement perdu ici au milieu de rien et de tout à la fois. Debout au confluent d’un nirvana sauvage et du murmure éternel de tes ancêtres néolithiques la plénitude jusque dans tes tripes plus besoin de rien d’autre tu veux seulement regarder le soleil plonger, raser l’horizon et remonter dans le ciel tel un galet qui prends vingt-quatre heures à bondir sur les flots.

Des paysages à faire des rêves de stampedes de bulldozers sur les métropoles.

Le bruissement continu et monastique d’un monde qui se contente d’être. Pas d’un monde qui angoisse.

Te laver à poil dans un ruisseau glacial plus transparent que le cristal et sentir le sang couler, battre à tout rompre, dans tes veines. La douleur revigorante de l’eau froide qui plonge ses crocs dans ta peau.

Une journée sur le raft à ne penser qu’à ce que tes yeux veulent bien voir. Une journée à flots à se gaver la tête de canyons de formations géologiques, d’une forêt vierge d’un ciel bleu pur, bleu-pas-de-smog d’un horizon qui s’étend plus loin que le regard, du bruit dominant et si instinctif du mouvement continu d’une rivière qui à jamais coule son cours puis un ours là, peinard, bouffe ses baies dans une tranquillité qui lui est absurdement quotidienne et qui t’es pratiquement inconnue. Humilité 101.

 

 

J’en raconterai plus, mais ça se raconte comment? Un univers entier qui me glisse en dedans par tous les pores qui s’immisce jusqu’au coeur hélicoïdal de chaque cellule et qui les fait résonner en harmonie totale. Le soupir calme de l’absence de la peur. Je peux regarder jusqu’au plus profond de l’univers moi rien le néant pas de raison pas de créateur pas de mission pas de peur. Pas de peur. Je doute de tout et ça ne me fait pas peur c’est ça oui. Le contact le lien avec l’extérieur l’hors-de-soi ici en plein coeur de l’absence de l’Homme je vois le fil le câble gigantesque et invisible qui m’y rattache. L’absence de la peur de ma propre existence. Ici je suis et c’est tout. Rien n’est dû rien n’est nécessaire meilleur justifiable digne de mention recommandé pratique sous-entendu non non non. Ici je suis et c’est tout. Et c’est pour ça que parfois je fonce hors de l’enclos en béton qui bâillonne ma simplicité. C’était un peu ça, Nahanni.

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